Qu’est-ce qui peut pousser un nombre non négligeable de citoyens d’un pays socialiste comme la RDA à célébrer le 100e anniversaire de la naissance d’un écrivain français, non marxiste, mort il y a plus de vingt ans ?
Il est difficile de répondre à cette question. Manfred Naumann, professeur à l’Université Humboldt, président du Comité Romain Rolland en RDA nous donne une idée de cette difficulté quand il avoue au détour d’un discours « qu’on ne peut étreindre le "fleuve Romain Rolland".
Néanmoins, nous allons tenter de dégager quelques lignes de force.
Un écrivain socialiste
C’est au nom de l’humanisme, au nom de sa foi en la force créatrice de l’Homme, que l’écrivain se range au côté du socialisme. Et il choisit résolument son camp. Ainsi, en juin 1917, il interpelle les socialistes français : « La démocratie française – qui ne l’est que de nom- retarde sur l’horloge du monde. Qu’elle aille à Petrograd, comme Cachin, pour remettre sa montre à l’heure !... Que l’Europe travaille à des organisations nouvelles, comme ces "Soviets" de Russie, noyau d’une internationale des peuples… »
Un auteur pacifiste, internationaliste et antifasciste
En décembre 1914, il note dans son Journal : « le courageux Liebknecht, seul, refuse de voter les crédits pour la guerre. Son parti le désavoue. Toute l’Allemagne l’insulte et le bafoue. On lui jette à la face, comme une injure, le nom de solitaire et d’étranger. Que ce soit pour lui, plus tard, un surnom glorieux ! »
Je ne peux m’empêcher de citer une formule célèbre de l’écrivain : « Les peuples, qui se sacrifient, meurent pour des idées. Mais ceux qui les sacrifient vivent pour des intérêts… »
En mai 1917, il écrit « Pour moi, j’estime que l’impérialisme est une peste qui ronge tous les peuples du monde. »
N’oublions pas que Romain Rolland combat résolument le fascisme. En 1937, il écrit la préface de l’édition française de Das deutsche Volk klagt an (Le peuple allemand accuse) écrit par des antifascistes allemands qui dresse le bilan des premières années du fascisme en Allemagne.
L’écrivain participe au Congrès de la paix en 1932 et 1933, il intervient en faveur de Dimitrov, de Thälmann, il soutient également d’autres communistes et des démocrates persécutés par les fascistes. N’omettons pas son action en faveur de la République espagnole.
Un ami de l’Allemagne
« Jean-Christophe » est un jeune allemand qui se rend en France pour échapper à l’Allemagne militariste de Guillaume.
Romain Rolland apprécie la musique et la littérature classiques allemandes. Pour lui, cette « Vieille Allemagne » ne correspond pas à l’Allemagne de Bismarck.
En février 1919, l’écrivain note dans son Journal : « Il y a, il peut y avoir, partout des attentats. Mais la caractéristique de ceux d’Allemagne, c’est qu’ils sont le fait d’une caste militaire. Jusqu’à ce qu’elle soit brisée, il n’est pas de démocratie, il n’est pas de République possible. Les actes d’hier… en imposant la conviction aux esprits les impartiaux… Cette conviction ne pouvait être ébranlée que par une nouvelle Révolution allemande. »
Au cours de son discours prononcé lors de la cérémonie en l’honneur du 100e anniversaire de la naissance de l’écrivain, le professeur Naumann peut lui répondre : « Cette "nouvelle Révolution allemande" a été accomplie dans une partie de l’Allemagne, dans notre Etat. Dès nos débuts, Romain Rolland a été pour nous un compagnon de route. Il est vivant en nous, il vit à nos côtés. Il a aidé beaucoup d’entre nous à trouver la voie de ce nouveau monde dont, jadis, il apercevait bien au loin les rivages.
Pour cela et pour son œuvre tout entière disons à ce grand Français toute notre gratitude. »
A lire ces paroles prononcées par un distingué professeur on peut croire que la lecture de Romain Rolland n’est réservé qu’à une élite. Erreur. N’oublions pas que nous sommes en RDA et que, par conséquent, la culture est démocratique.
L’œuvre du grand écrivain est largement connue en RDA. Les titres-phares comme Jean-Christophe ou Colas Breugnon sont publiés, des textes moins connus comme le Journal des années de guerre 1914 à 1919 ou Mémoires et souvenirs le sont également.
Mais le phénomène « Romain Rolland » ne se limite pas au monde de l’édition. L’attrait de l’auteur d’Au dessus de la mêlée peut aussi s’exercer sur l’Allemand de l’Est « moyen ». Ainsi, une serveuse de restaurant confie lors d’une discussion dans un club de Berlin qu’elle a échangé l’Annonciatrice, qui était épuisé, contre une bonne bouteille de cognac !
Cette anecdote savoureuse est un raccourci saisissant des forces, des faiblesses et des particularités de la société est-allemande.